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Les Amis de l'Ecole de Rouen

Interview d'Olivier CLEMENT par Pierre BUYCHAUT

15 Janvier 2015, 10:58am

Publié par le webmaster

suite de Natures Mortes de Pierre HODE - Musée des Beaux-Arts de Rouen -

suite de Natures Mortes de Pierre HODE - Musée des Beaux-Arts de Rouen -

A peine après avoir remercié François LESPINASSE pour ses commentaires, nous rencontrons Olivier CLÉMENT, conférencier émérite au Musée des Beaux Arts de Rouen, toujours dans la salle Pierre HODÉ, ce même soir 26 novembre 2014 de vernissage du 'Temps des Collections 2014-2015'.

En parallèle avec ses activités muséales, Olivier CLÉMENT a enseigné l'Histoire de l'Art à l'Université de Mont-Saint-Aignan, entre 2001 et 2012.

Pierre BUYCHAUT : que représente Pierre HODÉ dans votre très large connaissance de l'Histoire de l'Art ?

Olivier CLÉMENT : Eh bien, je découvre à l'instant avec vous cet accrochage.

Ce qui est émouvant, c'est que l'on voit la trajectoire de Pierre HODÉ et pas simplement les 2 ou 3 tableaux habituellement présentés sur les cimaises du Musée. Avec ses œuvres de jeunesse puis de maturité, son passage au travers du cubisme, des œuvres qui n'ont jamais été montrées de collections privées et quasiment inaccessibles !

La réalité de son œuvre est beaucoup plus complexe et beaucoup plus dense.

 PB :vous pourriez développer ?

OC : ce que l'on connaît et que l'on retient, ce sont ses tableaux véritablement cubistes.

Les œuvres fauves qui l'ancrent vraiment encore dans 'l'Ecole de Rouen', au sens traditionnel du terme, et près de PINCHON (1886-1943), sont beaucoup moins connues. D'où l'intérêt de cette exposition.

Car, on voit bien que Pierre HODÉ, dans sa première formation d'autodidacte, est d'obédience impressionniste comme, d'ailleurs, tous les artistes de sa génération. Et de plus, quand on est à Rouen, on est obligé de passer par ce style; à travers PINCHON, il n'a pu qu'être conscient des impressionnistes plus anciens et notamment ceux de la première génération de 'L'École de Rouen'. Puis, très vite, il s'en échappe.

PB : pour arriver à ce 'Port de Rouen' cubiste, qui appartient au Musée de Rouen ?

OC : oui, mais au demeurant, pendant longtemps, cette véritable belle œuvre cubiste bien menée, n'a pas été exposée, ce qui est dommage.

En fait, Pierre HODÉ reprend une thématique classique des Peintres de 'L'École de Rouen', mais la réactive profondément ! C'est très radical par rapport à ses débuts et à ce qui se passe à Rouen à l'époque !

Car, en partant de l'impressionnisme de ses débuts, il développe la subjectivité de la couleur (le 'fauvisme' - ndlr), puis ensuite la subjectivité cubiste. C'est à dire une reconstruction géométrique, formelle et purement mentale. Nous ne sommes plus dans le constat optique et la sensibilité visuelle à la manière impressionniste, mais dans un autre discours pictural dû à une analyse et une traduction intellectuelles.

Et, de plus, chromatiquement, par son 'Port de Rouen', Pierre HODÉ renie les splendeurs colorées de l'impressionnisme et du fauvisme. Rappelez-vous les décennies de la fin du XIXème et le début du XXème siècle dominées par une politique de la couleur violente, saturée. Le cubisme jouit d'une palette beaucoup plus retreinte, basée sur des gris et des tons de camaïeux, qui est une façon d'affirmer le côté mental de ce courant pictural qui n'est pas sensuel, lyrique ou sensible.

Et, pourtant ici, Pierre HODÉ emploie une palette qui reste plausible pour le climat de Rouen !

PB: ses 'Natures Mortes cubisantes' avec ses lettrés...

OC : dans la mesure où le peintre instaure la forme géométrique comme un élément de traduction du réel, il peut se pencher sur d'autres moyens de dire la réalité, comme les notes de musique, les lettres, les mots, les chiffres... qui accusent le plan, à la manière de ce que font BRAQUE et PICASSO une décennie avant lui.

En outre, il exprime un parti pris politique très engagé en prenant comme sujet le journal 'L’Œuvre' ( quotidien 'de gauche' à l'époque de Pierre HODÉ, qui parut de 1904 à 1946 - ndlr).

PB : puis, sa 'Nature-Morte à la mappemonde', l'une des dernières, un concentré daté de 1931...

OC : nous sommes devant autre chose que du cubisme.

Bien qu'il subsiste une logique qui vient du cubisme avec une simplification et une radicalisation des formes qui flottent dans l'espace, cependant on n'a plus ce jeu de géométrisation explosée : il y a unité du motif, motif qui devrait se voir brisé, fragmenté, démonté, aplani ou en collusion avec d'autres motifs et où l'indice fait sens. Ici, les motifs sont bien séparés.

Par contre, il y a une idée du purisme qui rejoint les recherches d'autres artistes des années 1930 qui choisissent une modernité plus sage. Je pense à MORANDI (Giorgio MORANDI, peintre italien, 1890-1964 - ndlr) qui aboutit aux mêmes conclusions : retour au réalisme, à l'ordre ; retour à un certain classicisme. Vous voyez ce plâtre 'à l'antique' dans la composition : c'est une volonté probante de citer les sources anciennes de l'Art, et de s'inscrire dans la tradition et non plus dans la rupture ! Idem avec ces instruments d'architecte !

Nous sommes au-delà du cubisme. C'est un 'après cubisme'.

PB : tournons-nous vers sa 'Rue de l'épicerie à la cible', si vous le voulez bien (retrouver dans l'article précédent - interview de F.LESPINASSE par P.BUYCHAUT )

OC : c'est évidemment très marqué par DELAUNAY ! Ce dernier produit ses 'Formes Rayonnantes' dans les années 1910, et aboutit à ses 'Rythmes' dans les années 1930.

Pierre HODÉ n'intègre pas encore ici, la fragmentation coloriste que DELAUNAY emploiera plus tard, ni son intensité chromatique. Le sujet est ici respecté. Et la description figurative l'emporte sur la dislocation future de DELAUNAY En même temps, il réactive un sujet traditionnel, typique qui, depuis le XVIIIème siècle, est devenu un motif emblématique rouennais. Pierre HODÉ revisite ce sujet et se le réapproprie dans un discours moderne.

Propos recueillis par Pierre BUYCHAUT

'le Port de Rouen' par P.HODE - Musée des Beaux-Arts de Rouen (don Galerie LAROCK-GRANOFF - 1996)

'le Port de Rouen' par P.HODE - Musée des Beaux-Arts de Rouen (don Galerie LAROCK-GRANOFF - 1996)

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