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Les Amis de l'Ecole de Rouen

interview de Sylvain AMIC par Pierre BUYCHAUT

21 Septembre 2016, 10:39am

Publié par le webmaster

Jules-Alexandre GRÜN - "un vendredi au Salon des Artistes Français " (1911)

Jules-Alexandre GRÜN - "un vendredi au Salon des Artistes Français " (1911)

Ce 20 juin 2016, nous rencontrons Sylvain AMIC, Directeur des Musées de Rouen, dans le cadre de l'exposition phare du 3ème Festival Normandie Impressionniste.

Pierre BUYCHAUT : Alors comment se déroule votre exposition “Scènes de la vie impressionniste”?

Sylvain AMIC : C'est une exposition qui marche bien, avec plus de 650 visiteurs quotidiens. La critique est également très bonne. Le public est très attentif et nous exprime souvent sa surprise de découvrir un nouveau pan de l'impressionnisme.

Nous-mêmes sommes heureux du résultat auquel nous sommes parvenus dans un contexte très tendu inhérent à la concurrence mondiale des expos impressionnistes, comme toujours. Nos bonnes relations avec les grandes institutions, comme le musée d'Orsay qui a très généreusement prêté, mais aussi les musées étrangers, ont évidemment beaucoup compté, mais c'est aussi le thème du Portrait Impressionniste qui a été plébiscité. Rendez-vous compte que ce sujet n'a jamais été réellement traité.  Jusqu'à présent, c'était au mieux, une des composantes d'une exposition impressionniste !

 PB: Bien, bien...

SA : Or les impressionnistes, qui ont choisi de ne traiter ni la Mythologie, ni la Religion ou même l'Histoire, ont peint en fait leur époque et ses transformations, aussi sûrement dans l'art du paysage que celui du portrait, et en particulier celui de leurs proches.

PB : que leurs proches ?

SA : Nous n'avons en effet pas voulu abordé la question du portrait de commande, dans lequel l'artiste reste prisonnier de certains codes, et préféré concentrer notre exposition sur les portraits de proximité, dans le cercle qui entoure l'artiste. Ces modèles partagent avec le peintre les mêmes émotions, les mêmes moments, heureux comme tragiques.

La Vie, dans toute sa diversité, est leur sujet. Ces portraits sont ainsi des clés pour comprendre une époque, tout comme les paysages décrivent les transformations de la ville, du monde du travail, etc... C'est une vraie surprise que de découvrir cette dimension dans les portraits intimes que nous exposons.

PB : donc, selon vous, ce n'est pas un thème, un sujet que les peintres traitent par défaut ?

Edouard MANET - "portrait de Berthe Morisot"- 1870

SA :absolument. Quand ils ne s'en désintéressent pas tout à fait, comme Sisley, le portrait est un genre qui fait partie de leur pratique, et qu'ils s'attachent à réformer, comme les autres. Bien sûr, leurs proches sont des modèles facilement disponibles et même souvent coopératifs : ils sont, d'ailleurs, prêts à se travestir pour incarner de multiples identités. Mais les critiques de l'époque ne s'y laissent pas prendre et les reconnaissent. On voit dans l'exposition que les peintres sont aussi à la recherche de types physiques qui les intéressent : ils découvrent des vraies personnalités, qui vont ensuite passer d'atelier en atelier et incarner le visage d'une époque. On commence à mieux connaître les histoires individuelles de ces modèles, et c'est assez passionnant. Autant de sujets d'expositions en perspective…

PB : comment est alors structurée votre exposition ?

SA : en 11 salles, il est offert au visiteur de parcourir une vie impressionniste, faite d'espoirs, d'idylles, de réussites, de bonheurs familiaux, mais aussi de ruptures, de conflits et d'adieux.

PB : peindre la Vie, peindre la Mort...

SA : oui, même la mort, avec ce fameux portrait de Camille Doncieux défunte, par Claude Monet.C'est un tableau qui reste secret durant toute la vie de Monet, à peine évoqué dans sa correspondance avec Clémenceau.

C'est une œuvre tragique et fascinante, “terrible” disait Monet. Et pourtant, on oublie que c'est une habitude au XIXe siècle, de conserver une image du défunt, comme par les masques mortuaires ou la photographie. Plastiquement parlant, c'est un tableau étonnant avec une Camille qui serait comme une Ophélie noyée dans l'étang des nymphéas.

Claude MONET -"Camille Doncieux sur son lit de mort" -1879

PB: difficile à intégrer dans la scénographie ?

SA : Le tableau fait une paire avec un autre, daté de 1871, montrant Camille dans un intérieur londonien. Le raccourci est un peu brutal entre ces deux moments et donne un côté très nostalgique à la scène de Londres. Au contraire du portrait mortuaire, ce dernier tableau a très vite connu une destinée publique. Bien qu'il s'agisse d'un moment privé, il a immédiatement été exposé sous différents titres : “Intérieur”, “Pose”, “Méditation”... C'est caractéristique d'une attitude propre aux Impressionnistes, qui d'emblée diffusent leur image, celle de leurs proches et leurs soutiens dans la scène artistique. Ils s'y sont presque exhibés, sans retenue ! Ils ne se cachaient pas derrière leur peinture.

Une dernière chose à propos de ce tableau : il a été exposé dès 1872 au Salon de Rouen, par la Société des Amis des Arts, exposition qui se tenait au Musée des Beaux-arts où Monet avait déjà fait une apparition en 1864. Nous sommes donc le premier Musée à avoir exposé Claude Monet.

PB : il n'y a pas que de la peinture...

SA : nos expositions se caractérisent toujours par une diversité d'approches, et ici encore nous nous attachons à montrer un contexte et pas seulement des chefs d'œuvres moissonnés dans le monde entier ! Il me semble que c'est fondamental pour comprendre une époque et ses enjeux. Nous avons ainsi réuni avec la peinture, le dessin, la sculpture, la photographie, des correspondances, une robe, des papiers peints.

PB : et la place de l'Ecole de Rouen dans tout ça    ?

SA : vous nous aviez soumis une très belle sélection d'œuvres issues de votre réseau. La plupart, renvoyaient à une problématique qu'on ne désirait pas aborder : “la place de la figure dans le paysage”. C'est un autre thème, immense, fondamental pour l'impressionnisme, qui pourrait faire l'objet d'une exposition à lui tout seul.

Pour le portrait pour, nous ne possédons guère que l'autoportrait de Delattre...

PB: existent également les autoportraits de Charles Angrand, Charles Frechon, Robert-Antoine Pinchon...

SA : c'est vrai, mais comme vous avez pu le remarquer dans l’exposition, la salle consacrée aux autoportraits est très précoce ; nous sommes entre 1864 et 1875.

PB : comment se conclut l'exposition ?

SA : l'exposition de termine en apothéose avec une grande confrontation entre les anciens et les modernes, au moment où l'Impressionnisme est consacré par la grande exposition centennale de 1900.

Le spectateur est pris entre deux univers qui s'opposent, celui de la jeune garde qu'incarnent les Nabis, représentés graves comme des conspirateurs chez Ambroise Vollard (NDLR Hommage à Cézanne  par Maurice Denis, 1900 - voir ci-contre)  et celui d'un monde finissant, qui perdu la bataille contre l'Impressionnisme, et qui sauve les apparences sous les Ors du Grand Palais (NDLR “Un vendredi au Salon des Artistes Françaispar Jules Alexandre Grün, 1911 - voir  titre de l'article).

PB : comment ressentez-vous ce festival ?

SA : j'ai senti une mobilisation de tous les acteurs ; il y a beaux projets même dans des petites structures, comme “être jeune au temps des impressionnistes” à Honfleur, “Walter Sickert” à Dieppe, “les lectrices” à Bernay, "les femmes impressionnistes" à Vernon... Je dirais même que ce sont les plus petits musées qui ont le mieux joué le thème du portrait ! C'est très remarquable! Nous avons essayé de soutenir de notre mieux par de nombreux prêts.

A mon avis, c'est l'une des meilleures éditions, au niveau jamais atteint. Les visiteurs ont de la chance !

PB: vos projets ?

SA : comme vous les savez, nous avons réuni depuis le 1er janvier 8 musées sous l'égide de la métropole. Nous sommes donc en pleine structuration de notre activité. Deux comités de programmation se sont déjà tenus, durant lequel tous les musées présentent leurs projets. Mais il y a parallèlement des avancées sur des programmes fondamentaux, dont le Quartier des musées.

Nous réfléchissons à l'idée du "territoire" dont, évidemment, l'Ecole de Rouen fait partie ! Nous souhaitons qu'elle soit visible dans nos collections et nos programmations. Nous sommes donc amenés à nous revoir.

Je garde dans un coin de ma tête “Léon-Jules Lemaître”, qui me semble un très très beau projet. Je cherche, en fait, un cadre de faisabilité ; pourquoi pas en 2018 ?

 

                                                           Propos recueillis par Pierre Buychaut

 

 

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